Si l’ensemble des acteurs de la recherche scientifique et de la santé s’accordent pour reconnaître l’importance de fonder toute décision sur des arguments scientifiques, il est étonnant de constater que le « bon sens » puisse encore être utilisé à ces fins sans recherche préalables de preuves scientifiques.

Tel est aujourd’hui le cas des questionnaires en psychopathologie : devons-nous les considérer comme des outils à risque pour la santé et le bien-être des personnes qui y répondent ? Par exemple, lorsque nous demandons à des personnes de répondre à des questions portant sur les idées suicidaire ou des contenus de pensées anxiogènes, le bon sens pourrait nous dire que le fait de lire et répondre à ce type de questions pourrait affecter l’humeur des répondants. Mais, sur quelles preuves s’appuie cette affirmation ?

A l’heure où des changements importants se sont produits, en France, concernant la législation portant sur l’éthique de la recherche impliquant l’être humain, comment pouvons-nous envisager l’avenir des recherches impliquant l’usage des questionnaires en psychopathologie ? Devons-nous considérer ces recherches comme représentant des risques plus importants que celles qui emploieraient des questionnaires « moins à risques » ? Finalement, doivent-elles être classées dans la catégorie des recherches à risques minimes ?

Afin d’aborder ces questions, la Société Française de Psychologie a réalisé une revue de la littérature internationale portant sur l’impact psychologique de l’administration de questionnaires en psychopathologie. Cette recherche a été effectuée en interrogeant les deux principaux moteurs de recherche et bases de données dans le domaine : Pubmed (National Institutes of Health) et Psycinfo (American Psychological Association).

1) Quelles sont les données actuellement disponibles dans la littérature scientifiques?

Nous avons tout d’abord constaté que très peu d’articles ont estimé l’effet de l’administration de questionnaires sur l’état psychologique des personnes évaluées. Les résultats publiés nécessitent donc d’être répliqués afin de prendre en compte, notamment, un plus grand nombre de situations cliniques et d’autres cultures que celles sur lesquelles portent ces études. Malgré ces limites, notre analyse de la littérature montre que les différentes études rapportent des résultats convergents et qui sont très instructifs afin d’aider à la prise de décision concernant la réglementation de la recherche sur l’humain, en France.
La première étude originale analysée dans notre travail (Surkan, Steineck, & Kreicbergs, 2012) souligne que de nombreuses études en santé mentale sont réalisées sans véritablement prendre en compte l’impact des évaluations réalisées sur les participants qui sont inclus. Les auteurs considèrent que cette situation pose un problème éthique puisque nous pouvons nous demander si la complétion de questionnaire portant sur la santé aurait un impact sur la détresse psychologique des participants. Toutefois, les auteurs concèdent que très peu de données documentent les conséquences de santé associées à des questionnaires de santé mentale (dépression, anxiété) – d’autant plus si les répondants souffrent de problèmes de santé et seraient donc plus vulnérables.
Cette étude est l’une de celles issues d’une enquête nationale réalisée, en Suède, auprès de parents d’enfants souffrant d’un cancer (N = 659). Le questionnaire comprenait 39 questions portant sur des manifestations de santé ainsi que plusieurs questionnaires de psychopathologie classiquement employées dans les recherches (e.g., échelle anxiété trait/état de Spielberg). Un deuxième questionnaire était soumis aux parents afin d’évaluer leur perception de l’ensemble des évaluations de santé mentale constituant l’enquête. Ce deuxième questionnaire incluait des mesures quantitatives afin d’évaluer si les parents ont été positivement ou négativement affectés par l’enquête. Des questions ouvertes permettaient au parent d’expliquer les raisons de leurs réponses.
Les résultats indiquent que les données exploitables ont été obtenues pour 63% des participants (la majorité des personnes exclues n’ont pas retourné leur questionnaire complété). Les principaux résultats montrent que la quasi-totalité des répondants (95%) rapportent percevoir l’enquête psychopathologique comme utile. Plus de la moitié des participants rapportent avoir perçu des effets positifs de la complétion des questionnaires de santé mentale (52%). Plus précisément, un grand nombre de parents rapportent que ces questionnaires leur ont permis d’envisager leur vie quotidienne sous un jour différent. De même, de nombreux parents rapportent que leur participation à ce type d’enquête était perçue comme valorisante.
Un très grand nombre de participants (95%) ne rapportent pas d’effets négatifs (avez-vous été affecté négativement (…)?), et les 5% restant n’ont perçu que de faibles conséquences négatives. Ces conséquences négatives correspondaient à la remémoration de réalités ou évènements déplaisants.
En conclusion, cette étude révèle que des questionnaires portant sur la santé mentale sont globalement perçus comme positifs et source de valorisation.
Plus récemment, Dazzi, Gribble, Wessely & Fear (2014) ont réalisé une revue de la littérature portant sur l’impact de questions au sujet du suicide sur les idées suicidaires. Leur travail révèle 13 études (entre 2001 et 2013) traitant de cette question. Ces études ont porté sur diverses populations incluant de larges échantillons d’adolescents, adultes et diverses populations à-risques (personnes consultant ou hospitalisées pour recevoir un traitement contre les idées suicidaires). Globalement, aucune de ces 13 études ne rapporte d’effets significatifs des questions, portant sur les pensées suicidaires, sur les idées suicidaires évaluées après la complétion des questionnaires de psychopathologie. Au contraire, les études inclus dans cet article s’accordent pour considérer que la complétion de questions portant sur les pensées suicidaires a un effet positif sur les idées suicidaires, et cet effet aurait un effet à long-terme en répétant les évaluations.
Les auteurs concluent leur analyse de la littérature en indiquant qu’il est possible de réaliser des enquêtes portant sur les idées suicidaires sans affecter négativement le bien être des personnes interrogées. De ce fait, ils encouragent à considérer ces évaluations psychopathologiques comme posant moins de problèmes éthiques que ce que le bon sens pourrait suggérer.

2) Avons-nous les preuves suffisantes pour considérer les questionnaires de psychopathologie comme des outils  » à risques  » ?

Si les questionnaires de psychopathologie peuvent sembler au premier abord comme à risques d’induire des conséquences sur la santé mentale des personnes évaluées, notre analyse de la littérature contredit cette conception que nous pourrions avoir de ces outils. Au contraire, plusieurs études conclues que ces questionnaires ont des conséquences positives sur des personnes indemnes de pathologies mentales ou dont l’état psychopathologique a pu nécessiter un traitement.
En conséquence, nous ne disposons pas aujourd’hui de résultats scientifiques motivant la classification de certains questionnaires de psychopathologie comme étant « à risques » pour la santé mentale des personnes qui y répondent. Aussi, il n’y a pas actuellement d’arguments scientifiques soutenant la classification de recherches dans la catégorie des recherches à risques minimes (catégorie 2) au motif que des questionnaires de psychopathologie sont employés.
Toutefois, si les questionnaires ne sont pas en eux-mêmes source de risques pour la santé mentale, les conditions de passation de ces outils nécessitent d’être considérées. En effet, la validité et la fiabilité des mesures obtenues (et donc des prise de décision associées) peuvent être affectées si, par exemple, les conditions standards de passation ne sont pas respectées, si la formation des personnes réalisant ces évaluations ne garantit l’acquisition des connaissances méthodologiques, psychométriques, statistiques et théoriques requises.

En conclusion, une réflexion éthique et déontologique nous semble en effet nécessaire à mettre en œuvre afin de garantir une utilisation des questionnaires – ou autres évaluations psychologiques – qui soit respectueuse de l’intérêt des personnes s’y soumettant, de notre société qui soutient financièrement ces travaux, et des principes scientifiques qui fondent et légitiment l’activité de production de connaissances. Ce travail nous semble devoir être engagé rapidement par le législateur, en sollicitant l’ensemble des acteurs scientifiques et institutionnels compétents.

Références
Surkan, J.P., Steineck, G., & Kreicbergs, U. (2012). Perceptions of a mental health questionnaire : the ethics of using population-based controls. Journal of medical ethics, 34, 545-547.
Dazzi, T., Gribble, R., Wessely, S., & Fear, N.T. (2014). Does asking about suicide and related behaviours induce suicidal ideation? What is the evidence? Psychological medicine, 1-3.